Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Serge Escots - 18 mars 2025

Bref commentaire en faveur de l’anthropologie clinique à propos d’une intervention de Roland Gori

Le professeur de psychopathologie et psychanalyste Roland Gori a tenu un webinaire à Yapaka.be, l’incontournable ressource belge pour les professionnel·le·s francophones, qui avait pour titre : « Remettre l’humain au cœur de nos métiers de l’aide et de l’éducation ». Il y aurait donc, dans nos secteurs auxquels il serait légitime d’ajouter le soin, un manque d’ « humain ». S’il s’agit du manque d’êtres humains, en tant que déficit de personnels dans nos secteurs, la réponse est évidemment oui. Mais je crois que l’interpellation de Roland Gori portait sur un autre aspect qu’il soutient depuis fort longtemps : la place des conditions de la rencontre du singulier vulnérable dans un contexte où le rouleau compresseur du management par la standardisation des procédures et de l’évaluation par le chiffre domine. Il s’agit donc dans son titre d’envisager plutôt « l’humain » sous l’angle de la qualité.
En effet, pour saisir le sens de son discours, il est nécessaire de comprendre ce à quoi le terme s’oppose. « Humain » s’oppose-t-il à la catégorie du « non humain » ou à celle de « l’inhumain » ? En anthropologie sont « non humains », les végétaux, les animaux, les machines, les esprits sous diverses formes selon les cultures, etc. « L’inhumain », c’est autre chose. Toutes ces catégories du non humain peuvent, selon les contextes culturels et les circonstances, présenter des comportements « très humains ». Songeons, à ces anthropomorphisations de plantes, d’animaux ou de robots, que ce soit dans des descriptions scientifiques ou dans la fiction. Ainsi, le non humain peut-être humain, et l’humain… inhumain. Les exemples historiques et terriblement actuels ne manquent pas pour comprendre de quoi « ça » parle. C’est même, une propriété de l’humain – notre sombre privilège- que de se comporter d’une manière inhumaine. Il serait d’ailleurs nécessaire de caractériser précisément ce qu’est cette part inhumaine de l’humain, nous n’avons pas la place ici pour le faire, mais l’anthropologie pourrait apporter sa contribution.

Remettre l’humain au cœur de nos métiers ? Il est difficile pour l’anthropologie de ne pas se sentir convoquée. Qu’est-ce que l’anthropologie, si ce n’est le regroupement de disciplines qui ont pour finalité d’étudier et rendre compte du « fait humain ». Dans cette perspective, je me permets de reformuler -j’espère qu’il ne m’en tiendra pas rigueur- le « mot d’ordre » du professeur Gori : il est nécessaire que les enseignements scientifiques dont nous disposons sur le « fait humain » soient au cœur de nos métiers. Cela constituerait une alternative crédible aux épistémologies quantitatives qui soutiennent actuellement les discours et pratiques managériales qui organisent la pensée et les conditions d’exercices de nos métiers. Au fond, que l’on soit, soignant·e, travailleur social, professionnel·le·s de l’accueil d’enfants, d’adultes, en difficultés, en souffrances ou pas, ne s’agit-il pas toujours de mettre en œuvre une forme de clinique ? Au sens où la rencontre d’un ou plusieurs autres dans la singularité de leur altérité vient nous toucher immanquablement. Bien entendu, ce n’est pas sans conséquences sur la façon de faire notre travail : humaine ou inhumaine. Il s’agirait donc que la clinique prenne plus en compte les enseignements de l’anthropologie et que l’anthropologie prenne plus sa place dans la clinique. Merci Roland Gori.

https://www.yapaka.be/